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Pierre Lucas, Directeur chez BAO Academy et senior trainer coach à BAO-Elan Vital, a eu il y a quelques années l’idée d’appliquer la méthode des constellations familiales aux entreprises. Objectif: se mettre en position de comprendre, mais aussi et surtout de changer la nature des relations difficiles qui se vivent entre collègues, public/client, hiérarchie… Il fait le point sur cette démarche.

TEXTE GAËLLE HOOGSTEYN

  

PIERRE LUCAS – Directeur chez BAO Academy et Administrateur de BAO Elan Vital, Exécutive coach en entreprise

Les constellations familiales reposent sur l’idée que certains blocages émotionnels ou comportements négatifs inappropriés peuvent être liés à des évènements ou des traumatismes vécus par des membres de la famille, parfois sur plusieurs générations. Dans une séance de constellations familiales, un groupe de personnes représente symboliquement les membres de la famille, ce qui permet de visualiser et de comprendre les relations et les conflits sous-jacents, afin de les dénouer et d’améliorer le bien-être. Et comme tout le monde le sait, les entreprises sont des grandes familles, n’est-ce pas.

Petit rappel : qu’appelle-t-on constellations systémiques?

Pierre Lucas – Le principe des constellations systémiques est basé sur l’idée que les individus sont profondément enracinés dans des systèmes plus larges. Partant de l’hypothèse que nous sommes influencés consciemment ou inconsciemment tant par nos ancêtres (et leurs croyances) que par l’ensemble des systèmes auxquels nous appartenons, la constellation permet d’extérioriser les liens qui nous enchaînent ou les freins qui nous bloquent. En mettant en « espace » les éléments d’un système (familial/entreprises/couple/amis/corps/…), la constellation permet de visualiser en 3D ce qui se passe dans l’inconscient et ainsi de mettre en lumière ce qui était dans l’ombre.

Comment cela fonctionne-t-il ?

P.L. – Les constellations vont permettre de voir — ou en tout cas d’entrevoir — des éléments invisibles mais reliés entre eux dans le monde de l’entreprise, soit à l’intérieur d’elle-même, soit avec des variables extérieures. Ainsi, on pourra emprunter des chemins de traverse et explorer des liens jusque-là totalement ignorés. Cette conscientisation amène à un nouvel équilibre et à rétablir des dynamiques saines. Un départ qui n’a pas été ritualisé, une fusion mal digérée, la suppression d’un produit ou d’un logiciel… peuvent mettre des années à être assimilés. Et entretemps avoir des conséquences négatives au quotidien.

« Bien des choses peuvent être « constellées : les interactions entre membres d’un comité de direction, d’un service, d’une équipe, un plan stratégique, les éléments qui favorisent le burn-out, les causes d’une hausse de l’absentéisme… »

PIERRE LUCAS 

 

Comment est venue l’idée d’appliquer ce principe aux entreprises ?

P.L. – Le système des constellations familiales est relativement bien connu du grand public. Son application en entreprise, en revanche, l’est beaucoup moins. Pourtant, appliquer cette méthode aux entreprises, fait pleinement sens. Tout d’abord parce que l’histoire familiale de chacun a eu une influence sur son comportement à l’intérieur de l’entreprise, mais aussi parce que chaque entreprise est — à l’instar de la famille — un système.

Que peut-on consteller ?

P.L. – Les interactions qui existent entre les membres d’un comité de direction, d’un service, d’une équipe, un plan stratégique, les éléments de nature à favoriser le burn-out, les causes d’une hausse de l’absentéisme… Tout peut être mis en constellation dès lors que l’on définit les constellations comme un outil permettant de faire apparaître des liens entre les éléments d’un système complexe.

Quid des relations interpersonnelles ?

P.L. – Elles sont bien sûr essentielles dans le cadre des constellations. Ces dernières peuvent par exemple servir à détecter et solutionner des problèmes de conflits ou de harcèlement (conscient ou inconscient). Et comme le principe des constellations montre la voie à suivre, cela permet de régler les problèmes d’une façon bien plus efficace que via des interventions classiques basées sur la parole. Dans un système aussi complexe que celui d’une entreprise, les liens directs de cause à effet n’existent pratiquement pas.

Que peut-on en retirer de concret ?

P.L. – Pour faire une comparaison avec le monde médical, il faut garder en tête que la constellation n’est pas un traitement (un médicament, un antibiotique), mais bien un outil (un scanner, une IRM) qui permet de détecter ce qu’on ne voit pas à l’œil nu. À l’issue d’une journée de constellations, le DRH aura une vision différente, beaucoup plus complète, de sa problématique. Il pourra donc se poser des questions qu’il ne s’était encore jamais posées et trouver des solutions qu’il n’aurait donc pas envisagées.

Concrètement, comment ça se passe ?

P.L. – Imaginons qu’un directeur RH veuille comprendre pourquoi le taux d’absentéisme de sa société a augmenté ces deux dernières années. Une séance de constellation complète dure environ une demi-journée voire une journée. En amont, nous réalisons des entretiens avec des membres de l’entreprise. Le jour J, nous mettons le DRH en relation avec un groupe de 15 volontaires, qui ne le connaissent pas et ne savent rien ni de sa société ni de sa problématique. La confidentialité est totale. Un ou deux observateurs de l’entreprise peuvent aussi être présents. Ensuite, les interactions entre ces personnes font apparaître clairement certaines choses (X et Y ne s’entendent pas, par exemple), mais aussi d’autres aspects beaucoup moins évidents. Tout au long de la séance, l’un de nos spécialistes accompagne la/le DRH. Ensuite, un travail de décodage est réalisé avec la/le DRH pour l’aider à appréhender au mieux l’ensemble des liens observés au cours de la séance. Pour finir, nous aidons le DRH à élaborer un plan d’action.

À quels types d’entreprises et de problématiques s’adresse cette technique ?

P.L. – Comme pour les familles, le système des constellations s’applique à tous les types d’entreprises : les grandes, les moyennes, les petites, et bien sûr, les entreprises familiales !

Ces derniers mois, nous recevons énormément de demandes concernant la gestion des conflits au sein des équipes, quel que soit leur niveau. Cela peut aller de la simple équipe au comité de direction.

Un mot pour conclure ?

P.L. – Dans les entreprises, on a tendance à donner de bonnes réponses aux mauvaises questions. Recourir aux constellations, c’est accepter de faire preuve d’humilité, de reconnaître que le monde change très vite et qu’on ne sait pas tout. Les constellations ne donnent pas de réponses toutes faites, mais ouvrent de nouveaux champs de questionnements qui vont permettre aux décideurs — DRH ou autres — de se poser les bonnes questions.

 

« Dans la fonction RH, on fait bouger les équilibres et on se doit de rester outillés »

 SYLVIE MICHEL (Head of HR de la Banque de Luxembourg) 

 

« Consteller ce qui se joue pour aller au-delà des évidences »

SYLVIE MICHEL – Head of HR Business Partnering, Talent Development & Acquisition de la Banque de Luxembourg

Sylvie Michel, Head of HR Business Partnering, Talent Development & Acquisition à la Banque de Luxembourg, a suivi la formation « Consteller Coach ». Elle partage son expérience.

La Banque du Luxembourg a un personnel d’environ 1.000 employés.e.s. C’est pour mieux outiller son équipe que la Directrice adjointe des Ressources Humaines s’est intéressée de plus près à la pratique des constellations et a suivi un module « Constellation Coach ». « Les constellations nous donnent d’autres clés de lecture pour analyser les situations. Grâce à elles, nous pouvons améliorer notre capacité à poser les bons diagnostics et donc notre capacité à intervenir de manière plus pertinente. Dans la fonction RH, et selon la manière dont on agit, on fait bouger les équilibres et le système en place. Cette formation m’a permis d’être plus éclairée dans la manière d’exercer mon métier. »

Si Sylvie Michel a apprécié sa formation, elle est surtout convaincue par l’approche des constellations : « Elle me semble particulièrement justifiée dans des contextes de réorganisation d’équipe, de création de départements, dans des situations de successions, de turnover dans un service ou de burn-out. Consteller ce qui se joue à ce moment-là et prendre en considération le contexte permet d’aller au-delà des (fausses) évidences. »

Son point d’attention : pour suivre cette formation, il vaut toutefois mieux déjà disposer d’expérience en tant que coach ou professionnel RH. « Un.e RH profitera mieux de la formation si il ou elle a déjà fait un travail sur lui-même, se montre curieux et ouvert à une approche qui, de premier abord semble sortir des sentiers battus. Les formateurs l’aideront à décrypter ce qui se joue pendant une constellation et la/le responsable pourra ainsi affiner son analyse d’une situation. Cela ouvrira à la personne d’autres perspectives pour agir de manière juste voire de décider de ne pas agir. »

Pour la directrice RH adjointe, il est essentiel que les entreprises s’ouvrent à ces modes de pensée plus larges. « On ne peut pas uniquement analyser les choses selon des liens de cause à effet, surtout quand on parle de relations interpersonnelles. Les sujets se complexifient de plus en plus. On se doit de rester bien outillés pour mieux appréhender les problématiques des employés et de l’entreprise dans le monde du travail actuel », conclut-elle

 

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